Dix Françaises veulent adapter dans notre langue ce grand classique du mouvement féministe.
Cet ouvrage, publié pour la première fois dans les années 70, a profondément contribué à changer notre regard sur les femmes et leur santé. Voici l'histoire de ce livre culte.
Touchstone / Boston Women's Health Book Collective
Our bodies, ourselves / montage BuzzFeed
Lors d'un atelier intitulé «les femmes et leur corps», les participantes se mettent à discuter de la contraception, de l'orgasme, de l'avortement. Mais aussi du paternalisme de certains médecins ou encore de la pratique qui consiste, après une épisiotomie, à recoudre plus serré le vagin de la femme afin que l'acte sexuel soit censément plus agréable pour le conjoint.
Pour beaucoup, c'est la première fois qu'elles peuvent partager ces expériences. Et c'est une libération !
Certaines de ses femmes décident donc de se revoir. Au départ, il n'est pas question d'écrire un livre.
Elles veulent surtout continuer à débattre, se renseignent sur certains sujets médicaux, et s'échangent les informations.
Les fondatrices d'OBOS lors d'une cérémonie au Elizabeth A. Sackler Center for Feminist Art, à New York, en 2017. / Via facebook.com
Mais l'année suivante, elles décident de regrouper tout leur travail dans une brochure intitulée Women and Their Bodies (Les femmes et leur corps), vendue 75 centimes, pour que le plus grand nombre de femmes possible puisse y avoir accès.
Le groupe devient «The Boston Women’s Health Book Collective».
Boston women's health collective
En 1973, la maison d'édition Simon & Schuster publie la première version commerciale de l'ouvrage, mis à jour, qui s'appelle désormais Our Bodies, Ourselves.
Il connaît tout de suite un très gros succès.
Boston women's health collective
«A l'époque, nous avions très peu d'information sur la sexualité, nous étions au Moyen Âge», explique dans cette vidéo Judy Norsigian, directrice executive du Boston Women's Health Book Collective.
«Il y avait énormément de sexisme, de paternalisme et condescendance dans la médecine. Ce n'était pas un très bon endroit vers lequel se tourner pour avoir des réponses à ses questions. (...) Nous devions donc nous éduquer nous-même.»
«Nous avons été parmi les premières à demander plus de recherche sur la santé des femmes, indique Judy Norsigian. Mais nous avons aussi réalisé que nous étions souvent les meilleures expertes de nos propre corps, et que nous devions mieux comprendre comment nos corps fonctionnent et ce que nous vivions.»
C'est pourquoi Our Bodies, Ourselves inclut dans ses pages de très nombreux témoignages à la première personne.
À cause de ces chapitres, certaines voix se font entendre contre le livre, comme celle de Jerry Falwell du groupe évangélique The Moral Majority, qui estime qu'il s'agit d'«obscénités».
Mais les lectrices d'OBOS ont un avis assez différent: le livre a profondément marqué la vie de nombreuses femmes. En 2011, le Washington Post listait les éloges de certaines de ses lectrices:
«Il m'a encouragé à me sentir bien dans mon corps», «Cela a eu un impact très important sur mon choix de carrière», «C'est un exemple de plus que le savoir est une arme», «C'était littéralement notre bible», «Je suis devenue quelqu'un qui n'avait pas peur de savoir des choses, puis, plus tard, de les partager», «C'était un coup de tonnerre - et une des choses qui ont faites que le mouvement de libération des femmes a été si libérateur».
Le livre, dans sa version américaine, a été actualisé à de nombreuses reprises. Il en est à sa neuvième édition.
our bodies, ourselves / Via (montage BuzzFeed)
Mais surtout, il a été traduit ou adapté dans de nombreux autres pays. Selon le site de Our Bodies Ourselves, il a été édité dans trente langues différentes.
our bodies, ourselves / Via (montage BuzzFeed)
OBOS est aujourd'hui célébré comme une des travaux collectifs les plus importants de la seconde vague du féminisme américain. Il a été désigné par la bibliothèque du Congrès américain comme un des 88 livres qui ont fait les États-Unis.
«J'interviens en moyenne dans 60 universités par an et c'est incroyable à quel point les jeunes sont mal renseignées. (...) Il y a énormément de désinformation. C'est un des avantages de ce livre: c'est probablement la source la plus fiable disponible sur les femmes et leur santé».
En France, une adaptation a été publiée en 1977, aux éditions Albin Michel. Mais elle n'est plus disponible et n'a jamais été mise à jour depuis.
Albin Michel / Via amazon.fr
C'est pour cela qu'un groupe de 10 Françaises veut produire une nouvelle version, adaptée au contexte français de 2018, pour lequel elles ont lancé un financement participatif, qui permet de pré-commander Notre corps, nous-mêmes.
On retrouve notamment dans ce collectif des blogueuses (Marie accouche-là et Aloha Tallulah).